Les sens en ébullition à Katmandou
- La plume nomade
- 13 avr. 2020
- 3 min de lecture
Voilà déjà 7 mois que je vadrouille sur les terres asiatiques comme le révèle si bien ma pilosité faciale abondante. Pour mon dernier mois de voyage, c’est sur un coup de tête que je réserve un vol pour Katmandou depuis un cyber café thaïlandais. Je ne le sais pas encore, mais la transition entre la douceur du sud-est asiatique et la capitale népalaise s’avérera être un peu chaotique. Tout commence par un vol avec une escale de nuit d’une dizaine d’heures dans l’aéroport de Mumbaï en Inde. Je tente de dormir en me construisant un lit de fortune avec deux sièges dans le hall principal, mais les virulents moustiques m’empêchent de rejoindre les bras de Morphée. Je passe donc une nuit blanche en tête à tête avec un écran de iPad en libre service. Le lendemain, j’atterris enfin à Katmandou des poches de fatigue sous les yeux. Sans argent comptant et le guichet automatique refusant de me renflouer, je m’arrange pour faire un deal un peu louche avec un chauffeur de taxi pour me rendre au centre-ville. J’y perds au final plusieurs milliers de roupies népalaises…soit quelques dollars!
À peine arrivé, je perçois une intensité unique qui imprègne les allées étroites de la cité. Mes sens sont en ébullition, stimulés comme rarement.
L’ouïe par le tintamarre permanent des klaxons des taxis toujours à deux doigts de me rouler sur les pieds, par les cris des supporters de l’équipe nationale de cricket agglutinés devant le minuscule écran de télévision d’un commerçant, ou encore par les sollicitations de ces intraitables vendeurs de cachemire et de thé dans le quartier touristique de Thamel. Dans les marchés publics bordéliques, les voix s’élèvent, tout s’y vend comme en témoigne la présence de peseurs de personnes et de lecteurs de paume de main.
Le toucher par le pouce qui se pose sur mon front dans le cadre d’un rituel exercé par ces hommes de foi à la barbe et aux cheveux enroulés, au visage peinturé, portant un collier de fleurs.
L’odorat par les émanations des épices multicolores et par les délicieuses senteurs provenant de la cuisson des «pani puri» et «samossas», spécialités indiennes préparées par les vendeurs ambulants. Mais aussi par des effluves moins intéressantes comme celles des pièces de viande suspendues à l’air libre au grand bonheur des mouches, ou de la sueur des conducteurs de pousse-pousses luttant avec acharnement sur leur bicyclette rouillée dans les montées qui serpentent.
La vue par l’admiration de l’architecture inspirée du cadre bâti. Les palais au style médiéval ornés de sculptures raffinées en bois me font faire un bond dans le temps, comme l’impressionnante place de Darbâr. Tel un spectateur d’un match de tennis, mon regard est transporté d’un côté puis de l’autre, un moment observant ces visages hindous qui se recueillent dans un des nombreux temples cachés de la ville, puis l’instant d’après les saris colorés portées par les femmes de tout âge qui slaloment dans la rue.
Le goût par les succulents raviolis locaux surnommés «momos», les «thalis» végétariens et les sauces trop pimentées les accompagnant, mais aussi par la poussière s’extirpant du sol venant assécher ma bouche.
S’arrêter aux cinq sens humains pour décrire Katmandou n’est pas suffisant. Le spiritualisme est omniprésent dans la cité népalaise. Pour le comprendre, il suffit de se lever aux lueurs du jour et de se rendre au pied de l’une des imposantes stupas de Bodnath ou de Swayambunath. Au-dessus de leur dôme blanc arrondi, les drapeaux de prière colorés virevoltent dans le vent. L’occasion est unique pour observer les fidèles tourner les «manes», ces toupies dorées aux écritures sacrées. L’expérience atteint son paroxysme lorsque je visite le temple hindou de Pashupatinath. Les résidents des lieux sont pour le moins surprenants: vaches sacrées qui déambulent et singes voleurs, prêtres hindous quasiment nus à la peau peinturée et nonnes aux tuniques orangées. Je reste figé lorsque je vois un corps inerte passer devant moi, transporté par plusieurs hommes. Les traditions funéraires sont bien différentes des nôtres. Après le lavage des corps dans la rivière sacrée, le défunt est amené sur un bûcher à ciel ouvert puis brulé. La fumée s’élève, transportant l’âme humaine vers d’autres cieux, ne laissant que cendres sur terre.
Mythique Katmandou, capitale d’un petit pays aux grandes montagnes. Étourdissante Katmandou, où capharnaüm urbain n’est qu’un euphémisme. Spirituelle Katmandou, haut lieu de croyances aux traditions ancestrales. En quelques jours, je fus submergé par l’aura de cette ville qui réserve bien des surprises à ceux qui veulent bien s’y laisser déambuler.
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