Charmes et délices stambouliotes
- La plume nomade
- 25 mai
- 4 min de lecture
C'est par un enchaînement vol, nuit blanche en escale, vol puis bus que je débarque avec ma tendre moitié à Istanbul aussi défraîchi qu'une rose fanée. Le teint blanchâtre, de lourdes poches sous les yeux et le sac à dos nous tirant vers l'arrière, nous errons tels des zombies voyageurs sur la grande rue piétonne d'Istiklal. Mettre un pied devant l'autre, suivre les rails de tramway et éviter une collision frontale avec un passant devient notre mission commune. L'atteinte du matelas de notre logement deux kilomètres plus tard est un profond soulagement, tout comme le coma dans lequel nous sombrons. Requinqués par une nuit entrecoupée par des piqûres de moustiques, nous sommes fin prêts à découvrir les recoins de la cité eurasiatique.
Merveilles au coin de la rue
Nommée Byzance par les grecques, puis Constantinople par les romains, et finalement Istanbul par les turcs, la ville est un mélange d’histoire et de richesse culturelle. La découvrir à pied est synonyme d’enchaînement de découvertes surprenantes. Dans le quartier de Sultanahmet se côtoient les époques avec un obélisque égyptien, l’ancienne basilique chrétienne Sainte-Sophie reconvertie en sanctuaire musulman, la mosquée bleue et le palais Topkapi de l'empire Ottoman. Sur le pont de Galata, surplombé par la tour médiévale du même nom, les pêcheurs sont quotidiennement au rendez-vous. Leurs lignes lancées dans l'estuaire de la Corne d'Or attrapent étonnamment de nombreux maquereaux, sardines ou anchois. Pendant que les touristes admirent la vue offerte sur les minarets des immenses mosquées aux dômes imposants s'élevant au-dessus du profil urbain stambouliote. Le quartier de Balat quant à lui détonne par ses bâtiments et escaliers colorés, celui de Beyoğlu par ses belles rues pavées animées de cafés, restaurants ainsi que de passages cachés. Karakoy est prisé pour son côté moderne et branché, où nous fumons une chicha aromatisée en jouant aux échecs. L'effet du tabac sur le non fumeur que je suis combiné à mon inexpérience de ce jeu cérébral me rend beaucoup trop offensif, à en arracher les cheveux des plus grands maîtres russes.
Les interminables allées du grand bazar où s'entassent des milliers d’échoppes donnent littéralement le tournis à tout acheteur compulsif. Les étagères sont remplies de tissus aux teintes variées, d’élégants vases et vaisselles en céramique, de bijoux brillants dorés, d’immenses tapis suspendus, de lampes en mosaïque, de tableaux représentant les célèbres derviches tourneurs sans oublier les contrefaçons de sacs à main Gucci. En sortir devient un parcours du combattant, et une fois dehors le bazar aux épices prend la relève. Les présentoirs débordant de thé aromatisé, fruits séchés, loukoum roulés, assortiments de baklavas et montagnes d’épices forment une large palette colorée au milieu de laquelle les vendeurs se démènent pour attirer le client.
La magie se poursuit sur les rives du Bosphore, ce détroit séparant la métropole en deux, lui laissant un pied en Asie et l'autre en Europe comme pour accentuer son unicité. Les palais et maisons bourgeoises y sont visibles depuis les nombreuses liaisons en ferries voguant sur ce passage maritime. Les géants drapeaux turcs flottent dans le vent avec fierté du haut des collines, la blancheur du croissant de lune et de l'étoile islamique brillant sur le tissu rouge.
Temple culinaire
La première chose que nous remarquons à notre arrivée est là variété de la gastronomie locale. Après deux mois de régime à base de nouilles et de riz en Asie, notre appétit pour les spécialités turques riches et savoureuses est décuplé. Nous donc entamons un marathon culinaire quotidien. Pour le petit-déjeuner, nous fonçons vers l'une des roulottes de rue rouge où nous dégustons un simit, un pain circulaire aux graines de sésame, ainsi qu'un épi de maïs grillé au charbon, idéal pour mettre en valeur notre sourire matinal avec des résidus de peau coincés entre les dents. Au déjeuner, un petit börek (pâte feuilletée garnie) comme première mise en bouche est suivi d'une pide (mini-pizza) comme second encas avant de commencer les choses sérieuses avec un sandwich au poisson et une assiette de kefta (boulettes d’agneau). Pour la digestion, rien ne vaut une sélection de baklavas baignant dans le sirop et un thé turque pour faire descendre le tout. Pour le goûter, le dorum kebab est un choix idéal avec ses morceaux d'agneau finement découpés sur les énormes broches de viande. Comme accompagnement, la crème glacée dondurma au lait de chèvre tapée et flexible comme de la gomme est un délice pour les papilles. Enfin le dîner est l’occasion de poursuivre notre overdose de protéines dans notre restaurant favori Park Kebap. Au menu assiettes garnies de brochettes de viande grillée avec ses sauces fraîches, lahmacun (fine pizza) et chorba, une soupe aux pois agrémentée d'épices méditerranéennes. Les salutations du maître des grillades et son grand sourire à notre départ sont là cerise sur le künefe (gâteau aux cheveux d'ange et fromage). Sur le retour, lorsque le marchand de fruits de mer ambulant nous propose une assiettes de moules, nous devons décliner. Il ne faudrait pas abuser retour de même! Bien repus, nous évitons soigneusement les peseurs de rue et leur balance, nous ne voudrions pas gâcher une si belle journée en cassant leur gagne pain…
Histoires félines et capillaires
La plus grande diaspora vivant à Istanbul n'est autre que…féline! Les chats de gouttières y sont légion dans les rues, mais ne croyez pas que cela dresse un triste portrait de la condition animale. En effet, les stambouliotes en prennent soin. Litières installées sur les trottoirs, bols d'eau et croquettes à volonté, nos amis poilus sont pour la plupart en forme en bien en chair. Évoluant dans un environnement bienveillant, ils se prélassent et ronronnent sur une table de restaurant, un panneau électrique, un scooter, une statue ou encore des piles de tissus.
Je me lance dans un projet de grande ampleur. Barbe rasée, moustache taillée, nouvelle coupe de cheveux après un passage chez le barbier du quartier, mon objectif est de ressembler à un turc. Le résultat est plutôt concluant malgré un regard viril plus ou moins maîtrisé. Un sentiment de fierté m'envahit lorsque je me fais dire par un patron de kebab et un cireur de chaussures que j'ai un faciès d’ottoman. Alors je décide de me surnommer Yilmaz. La redescente sur terre est un peu brutale quand je me rends compte que je ne sais même pas dire merci en turc. On repassera pour une intégration parfaite!
Nous quittons cette magnifique ville avec pleins de souvenirs, beaucoup trop de photos, quelques kilos en plus (qui ne sont pas dans les valises) mais sans mon passeport turc!
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