En roues libres dans les Highlands
- La plume nomade
- 10 janv. 2021
- 6 min de lecture
En cette fin du mois d’avril 2019, le goût de l’aventure et l’amour du cyclotourisme me transportent en Écosse accompagné de mon père et de mon ami d’enfance. Trois compères en quête de découvertes qui se donnent comme défi de parcourir la mythique route «North Coast 500» à vélo au coeur des Highlands écossais.
Inverness, charmante et intime ville du nord du pays, nous ouvre ses portes pour établir notre camp de base. Le bruit des chopes de bières qui s’entrechoquent la veille du départ dans le pub Johnny Foxes marque le commencement de l’expédition. Gonflés à bloc autant que les pneus de nos montures, les joyeux acolytes que nous sommes ne savent pas encore ce que les hautes terres à l’emblème du chardon nous réservent.
Durant 9 jours, nous roulons un peu plus de 600 kilomètres avec nos sacoches bien chargées, longeant le littoral ouest jusqu’à atteindre la pointe nord du Royaume-Uni pour ensuite redescendre par les terres. D’innombrables côtes, encore plus de moutons, nous tombons amoureux des terres sauvages de l’illustre chevalier William Wallace. En voici les raisons…
Une palette de paysages. Jamais nous n’aurions pensé pédaler à travers un territoire aux panoramas si diversifiés. D’imposantes montagnes aux allures de Monument Valley aux États-Unis, de vastes étendues vertes peuplées de moutons rappelant l’Irlande, de grandes plages de sable entourées de falaises dignes des belles baies bleutées bretonnes françaises, ou encore des décors lunaires aperçus en Islande. À la totale merci des éléments, nous profitons des rayons du soleil au milieu des allées de genêts fleuris brillants de leur jaune vif. Dès que les nuages prennent le dessus sur le ciel bleu, l’atmosphère se transforme. Bienvenue dans les terres du milieu du Seigneur des Anneaux! Le vent se lève et la température chute en un instant créant une ambiance hostile. Malgré tout, Dame Nature nous épargne, ne nous envoyant de la pluie que pour une soirée et ne libérant que peu de «midges», ces moustiques voraces se déplaçant souvent par milliers. Le temps étant très changeant, nous développons une bonne habileté dans l’habillage et le déshabillage de nos vêtements!
Des villages reculés. Les huit highlanders au kilomètre carré que nous croisons se concentrent dans de petites bourgades souvent de cinq cents âmes ou moins. Applecross, Torridon ou encore Durness, campés au pied d’une montagne ou en bord de mer, donnent une impression de bout du monde. Le bruit du frottement des freins de nos vélos vient briser le silence des rues calmes et paisibles. Les soirs où les logements Airbnb prennent le relais sur le camping sauvage, nos hôtes prennent soin de nous: Emma et son petit-déjeuner réconfortant avec vue panoramique sur le joli village de Locharron, Christine et sa chambre coquette couverte de tapis poilus à Shieldaig. Dans les terres, l’ambiance est un peu plus glauque à mesure que nous croisons quelques lieux-dits tels que Crask, sans vie et composé d’une ou deux maisons peu invitantes entourées de brume épaisse. Évitons la crevaison ici…
Des «single tracks». C’est le nom donné à ces étroites routes à deux directions mais où seulement un véhicule peut passer. Un bonheur pour les cyclistes. D’abord parce qu’elles traversent de sublimes endroits difficilement accessibles mais surtout parce que les automobilistes roulent doucement, s’arrêtant la plupart du temps dans les «passing places» implantés tous les 50 mètres pour nous laisser le champ libre. Cela change des routes nationales et ses défilés de voitures de luxe sportives qui fendent l’air à une vitesse folle! Quoi qu’il en soit, peu importe la route, il faut rouler à gauche. De quoi rendre nos cerveaux un peu confus les premiers kilomètres, surtout si une manoeuvre de virage est requise!
Des lochs. Petits et grands. Larges et étroits. Célèbres et inconnus. Les milliers de lacs façonnent la topographie écossaise. Le loch Ness, bien sûr, où la légende du monstre Nessie créée un engouement touristique. Mais la plupart sont à l’écart des foules, esseulés, d’un bleu marine opaque, et se répandent sur les terres marécageuses couvertes de tourbières. Lors de nos bivouacs, nous installons nos tentes au bord de ces majestueuses étendues d’eau, dans lesquels nous puisons quelques gouttes pour faire chauffer nos pâtes. Depuis les berges la vue y est imprenable et le temps s’arrête lorsque les rayons du coucher de soleil commencent à danser à la surface du loch.
Des montées. Sans cesse. Des descentes aussi. Mais ce sont les ascensions qui font mal. Aux jambes et au moral. Le relief écossais accidenté, avec des pentes avoisinant régulièrement les 10% à 15%, nous pompe notre air. À l’aube du troisième jour, la montée de Bealach Na Ba et ses lacets dignes des routes ardues transalpines nous mettent à l’épreuve. Les imposants remparts rocailleux qui se dressent de part et d’autre du col le plus haut d’Écosse semblent vouloir ébranler notre confiance. Mental, détermination et moulinage sur petit plateau sont ici les clés du succès pour s’imposer contre la pente corsée de 20%. Et pas moyen de lâcher du lest en cours de route, nos sacoches nous tireront toujours vers l’arrière. «Such a bloody way» nous avait prévenu un livreur local quelques heures plus tôt, il n’aurait pas pu mieux décrire ce trajet. Serions-nous fous? Comme le laisse présager quelques touristes que nous croisons en camping car. Peut-être un peu…mais au point culminant personne n’apprécie autant que nous cet unique panorama où se fige l’ile de Skye illuminée par le soleil à son zénith. Comme dit le dicton, une bataille de gagnée mais pas la guerre. Les jours suivants les montées ne disparaissent pas, et des douleurs aux genoux et des inflammations aux tendons d’Achille surviennent au sein de la troupe. Doutes dans les esprits, moral en baisse, mais pas d’abandon quitte à modifier le mouvement du coup de pédale. William Wallace n’a jamais renoncé, nous non plus!
Des pubs. Pas beaucoup. Un ou deux par village. Mais véritable lieu de rassemblement. Comment occuper les soirées dans ces territoires reculés sinon? Une poignée de bons vivants locaux suffisent à enflammer la place. Les tireuses à bières dominent le comptoir, avec la déshydratante «Tenant’s» en chef de file accompagnée de son bras droit irlandais la «Guiness». Mais tout cela n’arrive pas à la cheville de la boisson reine au pays et fierté nationale, le scotch ou «single malt» pour les puristes. Après une éprouvante journée, nous dégustons avec plaisir quelques onces de ce vieux nectar tourbé fortement alcoolisé. Pour éponger le tout, l’endroit propose ses fameux «fish and chips» (poisson pané), ou «haggis» à base de panse de mouton farcie. En dehors de ces mets réconfortants, du «porridge» matinal et des «scones» destinés à vous plâtrer l’estomac, la variété culinaire écossaise reste somme toute assez limitée. C’est d’ailleurs un régime à base de sandwichs et de cakes qui compose principalement notre alimentation quotidienne.
Des châteaux. Mythiques. Mystiques. Les châteaux rajoutent de la magie aux paysages des Highlands. Impossible à démentir en écoutant les sons de cornemuse au abords du majestueux Eilean Donan castle. Il paraitrait que les fantômes d’anciennes familles y rôdent toujours. Légende ou vérité, seriez-vous prêts ça rencontrer les ancêtres du clan Mackenzie dans les ruines du Ardvreck castle?
Des anecdotes. Des belles, des drôles, de celles qui rendent ce voyage encore plus agréable. Comme cette séance de shooting photographique par des écossais qui souhaitent que nous prenions la pause avec nos vélos devant leurs voitures sportives Porshes et Lotus. Qui sait, nous pourrions nous retrouver dans le prochain magazine de Passion Turbo! Nous inventons des expressions farfelues à partir de termes anglophones qui nous font oublier la souffrance physique. L’alimentation locale et les quelques abus aboutissent à une digestion parfois délicate, provoquant une symphonie de flatulences sur la selle ou sous la tente et par la même occasion des fous rires contagieux…comme un retour en enfance! Nous lançons un concours du plus beau cliché photographique, ce qui passe par quelques tentatives de «selfies» comiques dans les cabines téléphoniques rouges. Et lors de cette dernière nuit à Édimbourg où un jeune anglais ivre réveille tout le dortoir en criant à répétition «Good night Nancy», nous sommes à deux doigts de lui infliger une punition inspirée du nom de notre auberge de jeunesse, le «Kick ass hostel»!
Une aventure unique. Le retour à la vie citadine dans la ville médiévale d’Édimbourg est quelque peu étrange. Décalés, en manque de repères après une période de bivouacs sauvages, tout semble aller trop vite comparativement aux Highlands. Quelques jours de réadaptation seront nécessaires en quittant ces terres gaéliques. Un très bon signe que l’aventure fut intense et pleine. À une prochaine William Wallace !
Comments