Les machettes guatémaltèques
- La plume nomade
- 4 avr. 2020
- 4 min de lecture
Lors de mon expédition au Guatemala en 2011, je suis de passage dans le village idyllique de San Pedro de la Laguna. Timidement encastré entre les berges du lac Atitlán aux eaux bleu saphir et la base de l'imposant volcan San Pedro, le temps semble s’y être arrêté depuis longtemps. Les départs et arrivées se font principalement par bateau, ce qui ajoute un certain charme à ce patelin. Havre de paix, l’endroit est propice à se relaxer paisiblement dans un hamac en profitant de la splendide vue qui s’offre à moi. Mais étant régulièrement atteint du syndrome de la bougeotte, une telle activité ne me semble pas pour le moment envisageable.
Je me programme donc une ascension du volcan San Pedro, avec un départ prévu à 4 heures du matin. Planté devant l’auberge en attente de mon guide, la ruelle mal éclairée est un tantinet lugubre. Soudain, des aboiements de chiens se font entendre accompagnés d’un raclement métallique. Rien de rassurant. Une silhouette apparait lentement dans la pénombre, tenant dans la main droite une machette qui traine sur le sol. Suis-je victime de paranoïa ou est-ce une copie guatémaltèque du tueur en série Jason ? Je pousse un ouf de soulagement lorsque le faible éclairage dévoile le faciès inoffensif d’un vieillard centenaire aux nombreuses rides. Il s’agit de mon guide qui m’explique qu’il donne des coups de machettes par intermittence pour éloigner les canins. J’acquiesce en espagnol et nous démarrons l’ascension du volcan alors que les premières lueurs orangées de l’aube percent la nuit. L’âge avancé de monsieur le guide ne parait pas dans la montée, celui-ci marche d’un bon pas et donne quelques coups de machette dans la végétation abondante pour déblayer le chemin. Une poignée d’heures plus tard nous atteignons le sommet du volcan San Pedro, qui me récompense d’une splendide vue sur le majestueux lac Atitlán. Le temps de faire une photographie cérébrale des lieux et nous redescendons vers le village.
De retour à l’auberge et décidé à profiter du hamac, je croise mon colocataire de chambre belge Jan qui s’avère être en pleine forme après avoir fait une grosse grasse matinée. Le flamand n’est plus d’humeur oisive et est tenté par une petite grimpette d’après-midi. Il m’embrigade dans son plan et je le suis vers ma deuxième ascension de la journée, la montagne de la Nariz Del Indio (narine de l’indien). Nous faisons fi des mises en garde sur les agressions de touristes non accompagnés d'un guide local et partons seuls. De vrais aventuriers téméraires…manquant de jugeote!
Pour nous rendre au pied de la Nariz Del Indio, nous prenons les transports collectifs locaux soit l’un de l’un de ces anciens autobus scolaires américains repeint avec des couleurs folkloriques, rebaptisé d’un étrange surnom: «chicken bus». Dès que nous montons à bord nous en comprenons instantanément la signification. Le spectacle est bluffant. Chaque rangée peut, selon mes calculs, accueillir au maximum quatre passagers répartis sur deux sièges de part et d'autre de l'allée centrale si on se fie aux règles de sécurité occidentales. Ceci étant je dénombre pas moins de six à sept personnes assises par rangée! Un scientifique pourrait mettre en pratique ses théories sur les forces physiques dans cet autobus. En effet, les passagers du milieu sont en position assise et sont maintenus en lévitation par la pression de leurs voisins. Je rejoins une des brochettes humaines et vis l’expérience incroyable d’avoir les fesses dans le vide en écoutant la musique latino crachée par les enceintes.
Arrivés à bon port, nous nous extirpons de l'autobus tant bien que mal et entamons la randonnée improvisée sans boussole ni carte. L'ascension est agréable et le paysage époustouflant, mais le sommet n’est pas visible si bien que nous demandons si nous sommes encore loin. Par chance, nous croisons deux paysans qui récoltent des grains de café avec leur machette. Décidément ce long couteau tranchant semble être l’emblème national. Ces sympathiques gaillards vont sûrement être en mesure de nous renseigner: «No mucho tiempo. Todo recto». Nous ne sommes pas très loin de notre but! Nous les remercions et continuons candidement notre expédition. Quelques minutes plus tard, un innocent étirement d’épaule me force à regarder en arrière. C’est là que j’aperçois avec surprise nos deux amis paysans qui trottinent discrètement à quelques dizaines de mètres de nous. Leur machette au poing, leurs intentions ne semblent pas si bonnes que je le pensais. Ces scélérats ont la ferme intention de nous dépouiller! La peur m’envahit, j'avertis mon compagnon Jan qui marche en avant de l’état de la situation et surtout de l’urgence de prendre nos jambes à notre cou. Aussi alerte qu’une frite belge, il me conseille de ne pas m'inquiéter. Ok si tu veux, moi j'accélère! J’entame un sprint d’anthologie pour échapper à nos assaillants, en cachant simultanément carte mémoire d’appareil photo et argent dans mon caleçon. Pas de chichis en temps de survie! Jan a apparemment reconsidéré ma recommandation car il me talonne. Après plusieurs slaloms entre des buissons, nous arrivons au sommet le souffle coupé. Plus que jamais sur nos gardes nous guettons le moindre mouvement, prêts à déguerpir à nouveau. Les minutes défilent mais personne ne vient…Les rois de la machette auraient-ils lâché prise ? Ou attendent-ils notre retour cachés derrière un tronc d’arbre au bord du sentier ? Aucune prise de risque possible, nous empruntons un itinéraire différent pour rentrer afin d'éviter de les recroiser. Nous dévalons donc à grandes enjambées la montagne de façon rectiligne à travers les hautes herbes. Lors de cette interminable descente, j'angoisse en croisant chaque arbuste derrière lequel je pense devoir esquiver une lame rouillée. Finalement nous retrouvons la civilisation de San Pedro de la Laguna sans embûches, certes les genoux en compote mais plus que jamais soulagés!
C’est maintenant l’heure de profiter du hamac, et croyez-moi que je ne le quitterai pas de sitôt!
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