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LA PLUME NOMADE

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L'aven(a)ture Patagonienne

  • Photo du rédacteur: La plume nomade
    La plume nomade
  • 27 mars 2022
  • 8 min de lecture

La Carretera Austral, route mythique du Chili de 1200 km construite sous le règne de Pinochet, traverse la région des lacs en Patagonie. Attirant chaque année bon nombre de cyclotouristes en quête d’aventure, mon père et moi décidons de partir à sa rencontre pendant l’été austral. Au départ de Coyhaique, nous parcourons à vélo environ la moitié de son tracé qui nous mène jusqu’à Villa O’Higgins, fin de la route aux allures de bout du monde.


À la merci des éléments


Trouver le bon angle pour décrire le ressenti d’un tel voyage n’est pas chose aisée. Avec un peu de recul en repensant à ces trois semaines au coeur de la Patagonie chilienne, une forte impression est ressortie. L’omniprésence des éléments naturels. Adorés ou détestés, ils ne nous laissent pas insensibles et rendent cette région si unique.


L’Eau. L’artiste de Patagonie. Présente en abondance, elle saupoudre de magie les paysages des terres australes chiliennes. D’un calme plat à la surface des lacs, elle fait refléter dans son miroir les montagnes aux neiges éternelles avec une symétrie parfaite. Elle colore les lagunes et les ríos, ces nombreuses rivières regorgeant de saumons qui serpentent au milieu des vallées, allant du vert pastel au turquoise en passant par l’émeraude. Elle sculpte les falaises de Puerto Rio Tranquilo pour former des oeuvres naturelles creusées dans le marbre, allant même jusqu’à créer une cathédrale flottante sur le Lago General Carrera. Mais surtout, elle impressionne à l’état solide lorsqu’elle se matérialise sous forme de nombreux glaciers. D’une rare pureté et régnant depuis des millénaires sur les hauteurs des cimes de la région d’Aysen, ces derniers nous font lever la tête en permanence pour admirer leur indescriptible couleur bleutée. Le succès ne lui monte pas pour autant à la tête et elle sait se montrer humble et généreuse. Elle n’hésite pas à s’offrir à nous que ce soit en remplissant nos gourdes sous les cascades, ces robinets de fraicheur à ciel ouvert, en se mélangeant à notre café instantané matinal ou en nous nettoyant le corps directement dans la rivière après une journée usante.


La Montagne. Le pilier rassembleur. Imposante et majestueuse, elle accueille une végétation luxuriante et atypique comme ces banzaïs géants à moitié vivants et ces plantes aux feuilles épanouies tout droit sorties du livre de la jungle. Les nuages qui avancent dans le ciel bleu aiment s’arrêter pour discuter avec elle autour de ses sommets enneigées. Elle offre un gîte aux rapaces qui tournoient à ses côtés et aux huemuls qui se cachent dans son relief. Et lors de nos longues nuits réparatrices sous la tente, elle en profite pour flirter avec la lune qui l’éclaire de sa lumière astrale.


La Poussière. L’irritant implacable. D’abord absente les cent premiers kilomètres, elle vient nous taquiner dès la disparition de la route asphaltée pour de la piste. Au passage d’un véhicule, elle s’élève dans les airs. Compacte et dense, son nuage fond sur nous et nous rend invisible l’espace d’un instant, nous obligeant à nous arrêter le temps que son voile se dissipe. Elle se colle à notre peau, brûle nos yeux et décolore les plantes. Trop présente au début du voyage en raison des nombreux passages de VUS et pick-up appartenant aux vacanciers chiliens, notre ennemie se montre moins menaçante au fur et à mesure que nous avançons vers le sud dans des contrées moins visitées.


La Terre. Le soutien instable. Mélangée aux graviers et aux roches, elle forme une surface rugueuse, inégale, instable et parsemée de trous communément appelée ripio sur laquelle nous pédalons la majeure partie du voyage. Elle offre des conditions de roulement difficiles, et nos pneus larges mis à rude épreuve luttent pour nous faire avancer à peine plus vite qu’à pied. Lorsqu’elle forme des séries de vaguelettes sur la piste en raison du passage des voitures, nous subissons de douloureuses sessions de rodéo. Bien que les suspensions avant de nos vélos essayent d’atténuer les tremblements dans nos bras, le tapement répétitif de la selle maltraite nos fesses, contraintes à l’arrêt maladie en fin de journée pour cause de bourrelet irrité. Alors allongés pour les reposer, elle continue de nous brasser en vibrant de toute ses forces au passage d'un camion un peu trop pressé.


Le Feu. Le cuisinier ambivalent. Sa flamme bleue rugissante sortant du micro-réchaud de camping permet de nous nourrir lors de nos bivouacs sauvages. Grâce à lui, nous pouvons déguster nos spaghettis à la sauce tomate en conserve accompagnés, de temps à autre, de thon et parmesan. Et quand nos estomacs sont usés par cette recette italienne un tantinet trop récurrente, il nous offre un peu de variété gastronomique en nous chauffant des plats déshydratés. Capable également de nous faire griller du pain sur le poêle à bois d’un refuge, il nous procure du réconfort en nous offrant un peu de chaleur lors d’un feu de camp au bord du rio Baker. Et quand nous posons le pied dans le restaurant d’un village, il se métamorphose en chef étoilé. Il vient griller la succulente viande de boeuf chilienne et nous rassasie avec des classiques locaux comme le lomo a lo pobre (steak-frites avec oeufs sur le plat), les sandwichs churrasco et completo ainsi que les digestes chorrillanas (la poutine chilienne).


Le Soleil. L’agresseur enchanteur. Dans cette contrée d’Amérique du sud, ses rayons ne sont que peu freinés par la faible épaisseur de la couche d’ozone. Il a donc toute la liberté de faire griller toutes les surfaces exposées. Avec agressivité, il en profite pour attaquer mes petites mains orphelines de leurs gants de vélo oubliés. La crème solaire ne peut pas lutter durant toutes ces heures à rouler. Et les brûlures ne tardent pas à arriver, au même titre que les lèvres asséchées et les lambeaux de peau pelée. Malgré sa violence avouée, il sait aussi enchanter les paysages patagoniens. Après une nuit fraiche marqué par son absence, le voir petit à petit s’élever pour éclairer lacs et vallées, donner vie aux variantes bleutées des rivières et glaciers ne peut que nous émerveiller.


Le Vent. L’éternel joueur. À la manière d’un enfant, il aime s’amuser. Lorsque nous pédalons, ses rafales nous poussent tantôt vers la gauche, tantôt vers la droite comme si nous étions sa balançoire. Et comme son intérêt pour le même jeu reste éphémère, il passe rapidement à un autre. Alors il nous souffle dans le dos pour donner une pause à nos mollets, mais l’instant d’après nous siffle en pleine face pour nous faire mouliner. Quand nous sommes fatigués de le côtoyer, nous essayons de trouver refuge derrière une rangée d’arbre ou à l’abri d’une paroi rocheuse. Mais souvent, nous sommes obligés de continuer à jouer avec lui car rien ne peut nous abriter. Heureusement, ses apparitions ne sont pas trop fréquentes. Son humeur est changeante et il nous le montre un soir alors que nous décidons de nous arrêter pour la nuit sur une petite plage. Vexé que nous arrêtions de rouler avec lui, il fit déferler sa colère sur notre tente pour la faire s’envoler. Cette fois-ci, nous ne le l’avons pas laissé gagner en installant de grosses roches sur les piquets pour l’empêcher de nous dénuder.

Lentement mais vivants


Hors de question de vous mentir, le voyage fût parfois difficile physiquement et mentalement. Je repense encore à ces moments en train de pousser le vélo chargé dans une montée à fort dénivelé, en marchant sur la piste défoncée, le visage empoussiéré, à me demander pourquoi s’infliger ça pendant mes vacances.


Alors oui, pourquoi?


En roulant à moins de 10 km/h pour moins de 50 kilomètres par jour, nous avançons à un rythme assez lent. Cela nous force à être dans le moment présent et à nous imprégner de ce qui nous entoure. Les émotions ressenties semblent décuplées sur notre bicyclette. Une marée de nuages gris qui se fait menaçante et notre moral tombe à plat. Un panorama incroyable après une traversée de col compliquée et nous voilà remplis de fierté. Un tronçon de piste pas trop endommagé et nous devenons tout excités. Une schop de bière locale après une dure journée et nous sommes aux anges.


Un trajet en voiture ne prendrait qu’une poignée d’heures pour faire ce que nous faisons en plusieurs jours à vélo. Mais cette lenteur nous fait vivre une expérience totalement différente. La gestion de nos points de repos pour la nuit en est un bon exemple. Les villages étant assez espacés, nous devons trouver un emplacement où dormir parmi la flore. Les possibilités de bivouac sauvage ne sont pas si nombreuses qu’on pourrait le penser, la faute aux kilomètres de clôtures installées au bord de la piste traversant pourtant des terres peu peuplées. Nous plantons malgré tout la tente dans des endroits magiques. Sur une plage avec une vue imprenable sur des glaciers, au pied d’une cascade encerclés par la brume matinale ou encore au bord d’une rivière émeraude à déguster du saumon frais préparé par notre voisine chilienne. À l’inverse, nous passons des nuits moins tranquilles comme au bord de la route encaissée où nous subissons les vagues régulières de poussière, dans un poste d’attente pour traversier, dans un jardin privé aux ronfleurs affirmés ou encore dans des campings municipaux bondés.


La lenteur nous amène à faire des rencontres improbables. Une en particulier nous aura marqué. Une heure après avoir quitté l’atypique village aux passerelles de Caleta Tortel, un chien errant nous fait face allongé sur la route. L’oeil vif et les oreilles dressées, le jeune bâtard nous réserve un accueil (trop) chaleureux et semble vouloir monter sur nos vélos. Courant à nos côtés toute la journée et ne nous quittant pas d’une semelle, il a choisi ses nouveaux maîtres. Nous nous attachons rapidement à lui, sa présence devient naturelle si bien que nous le baptisons Rio. Les adieux sont déchirants au moment de prendre un ferry. Notre ami se jette à l’eau pour suivre le bateau et nos coeurs sont attristés de devoir l’abandonner.


La lenteur nous oblige également à vivre en autonomie. À plusieurs reprises nous devons rouler trois à quatre jours sans croiser de villages. Nous faisons des réserves au mercado où les féculents omniprésents remplissent nos sacoches arrières. La gestion de l’eau est un peu plus simple, nous nous servons directement dans les rivières et les lacs pour boire, faire la cuisine et la vaisselle. La section finale du trajet nous offre très peu d’interactions sociales, et nous sommes livrés à nous mêmes. Lorsque nous arrivons enfin à Villa O’Higgins avec un seul paquet de pâtes comme nourriture restante, nous sommes heureux de reconnecter avec un semblant de vie humaine formé par cette bourgade de 600 habitants.


Finalement, lenteur rime avec imprévus. À l’évidence, le parcours initialement planifié est trop ambitieux considérant sa difficulté et le temps limité. Les doutes se manifestent rapidement dans nos têtes. Heureusement un court trajet en bus devient notre plan B pour nous faire avancer plus rapidement, offrant une pause à nos montures entremêlées dans les soutes. L’épisode de cassage de chaine ajouta un peu d’éducation à l’expédition. Il aura fallu attendre d’être au bout du monde pour que j’apprenne à remplacer un maillon. Et quand nous pensons avoir fait le plus dur en arrivant jusqu’au bout de la Carretera Austral à vélo, la Patagonie nous rappelle que nous ne sommes jamais en contrôle sur ses terres. Un oiseau kamikaze s’en prend au réacteur de notre coucou censé nous ramener à Coyhaique notre point de départ. Le maintien du vol devient incertain, nous tentons alors de faire du stop où seules des mouches sont de passage. Une course contre la montre s’amorce pendant près de deux jours pour éviter de rater notre avion pour Santiago. Après deux voyages mouvementés en autobus de sept heures chacun, j’organise par téléphone dans un espagnol saccadé une rencontre entre un taxi et notre bus à une intersection isolée. Le timing est parfait, et nous pouvons souffler une fois déposés à l’aéroport.


Vous l’aurez compris, voyager à vélo en Patagonie est un sacré défi. Mais bien préparé avec un mental d’acier, accompagné d’un brin de folie sans être pressé, je vous promets qu’émotions et sensations sont assurées.







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