Au pays du Roi Lion
- La plume nomade
- 3 mai 2020
- 9 min de lecture
La Tanzanie. Pays de la côte est de l’Afrique, continent du berceau de l’humanité. Mais aussi l’un des rares endroits sur terre où le monde animal règne encore et la nature dicte ses lois. Annie, éternelle amoureuse des animaux, rêve depuis longtemps de se mélanger à la vie sauvage de la savane. Moi, explorateur dans l’âme, mais sans expérience en Afrique noire décide d’organiser un court mais intense périple à travers un safari tanzanien. C’est donc avec excitation et un peu d’appréhension que nous nous lançons dans une expédition qui nous transporte à plus de 13 000 kilomètres de Montréal.
Ce n’est pas la destination qui compte…
Migrer des terres nordiques canadiennes vers celles de l’Afrique subsaharienne ne se fait malheureusement pas en un claquement de doigts. Plus précisément, il nous faut trois avions pour arriver à Dar es Salaam capitale de l’état tanzanien. La devise locale ‘‘hakuna matata’’ (comprendre ‘‘pas de stress’’) ne semble pas s’appliquer dans cette grande ville. Notre transfert depuis l’aéroport est chaotique. À bord d’un taxi adepte des arnaques à touristes, nous passons plusieurs fois proche de l’accident. À peine déposés à la gare routière d’Ubungu, nous sommes assaillis par une horde de vendeurs. Un sentiment d’oppression monte en nous, et cumulé au fait que nous sommes les seuls touristes au milieu de centaines de locaux grouillant de partout, nous ne sommes pas très rassurés. Une fois notre sang froid revenu, je négocie ardemment le prix du billet d’autobus pour Arusha. Nous nous frayons un chemin à travers les vendeurs de journaux et de recharges de téléphone, les femmes transportant sur leur tête des oeufs frais (ou non) ou encore cet homme encombré par un matelas en mousse sur ses épaules. Épuisés et mal installés dans ce bus sans âge, nous partons enfin et roulons pendant douze heures pour rallier le nord du pays. Entre deux comas, nous observons les villages composés de quelques cabanes rudimentaires en bois et terre cuite à proximité des champs d’orangers. Fait surprenant, l’industrie du lit semble être en plein essor dans la région, les commerçants exposant leurs imposantes bases en bois massif le long de la route. Après cinquante-cinq heures de voyage continu, nous atteignons enfin la ville d’Arusha la nuit tombée, les chevilles enflées et l’esprit décalé. ‘‘Ce n’est pas la destination qui compte mais le voyage’’, je l'avoue ce fameux dicton commence à me tomber sur les nerfs! Un dernier kilomètre en taxi au milieu des bananiers pour rejoindre notre auberge et nous sombrons dans un sommeil de plomb.
C’est le lendemain que nous découvrons vraiment où nous avons atterri. La ‘‘banana farm eco hostel’’ porte on ne peut mieux son nom. Légèrement en retrait du centre urbain d’Arusha, cette auberge écologique est située en pleine forêt de bananiers. Ambiance relaxante au milieu de cette végétation luxuriante, nous nous laissons dériver dans les environs où nous nous faisons accueillir par des ‘‘Jambo’’ de la part des résidents (‘‘Bonjour’’en swahili). Le temps semble au ralenti dans ce lieu atypique, ce qui nous ressource. Godwin le propriétaire a bâti un véritable havre de paix respectueux de l’environnement à l’image de ses valeurs. Dans la cuisine commune, ce jeune homme inspirant nous explique les motivations qui l’ont mené à développer un système de récupération des biogazs créés par les excréments de ses vaches.
Envoûtement animalier
Le réveil retentit, mais à vrai dire cela fait un moment que nous sommes réveillés. Voici enfin le grand jour, celui du départ pour un safari de plusieurs jours dans le nord de la Tanzanie. Entre excitation et appréhension, nous attendons patiemment l’arrivée de notre guide devant l’auberge. Un dénommé Khalifa arrive enfin à bord de son impressionnante Jeep modifiée pour les expéditions avec un toit ouvrant et des roues similaires à celles d’un tracteur. Nous sommes accueillis à coup de ‘‘Caribou’’ de sa part. Nous fait-il une blague parce que nous sommes canadiens ? Le tanzanien est-il taquin ? Mauvaise interprétation puisqu’en fait il nous souhaite la bienvenue, ‘‘Karibu’’ dans la langue locale! Les présentations faites nous aidons Khalifa, qui maitrise bien le français, à charger le bolide d’équipements de camping, de matériels de cuisine et de nourriture pour cinq jours. Jumelles et appareil photo à portée de main, nous sommes fin prêts pour l’aventure. Une légère fébrilité plane dans l’habitacle de la Jeep alors que nous roulons tout droit vers l’inconnu.
Nous nous arrêtons devant les portes du parc national de Tarangire. Le temps d’obtenir nos permis d’entrée et de faire connaissance avec un couple de français que nous suivrons pendant la durée de l’expédition. Enfin nous avançons doucement sur ces terres arides peuplées de baobabs, ces arbres difformes bizarroïdes qui semblent surveiller les lieux. Nous sommes aux aguets, les yeux grands ouverts, à la recherche du moindre signe de vie dans ce parc dont le nom signifie ‘’Rivière aux phacochères’’. Et là, une scène irréaliste se dresse d’un coup devant nous. Bouche bée nous apercevons des dizaines de gnous, d’antilopes, de zèbres et quelques éléphants et autruches se prélassant au bord d’un lac. Le monde animalier à l’état naturel dans toute sa splendeur est si émouvant. Nous nous sentons minuscules. Le long des pistes rougeâtres, nous participons au majestueux défilé animalier: impalas, gazelles, lionnes, babouins et autres singes, pintades bleues, suricates, girafes, phacochères, vautours, cobes, calao à bec rouge (Zazu pour les fans du Roi Lion), varans, crocodiles et bien d’autres. Même les termites se mêlent au spectacle avec leurs hautes constructions en terre. Clou du spectacle, un troupeau d’éléphants avance en ligne le long d’une rivière asséchée. Comme si nous étions de l’autre côté d’un écran de télévision retransmettant un documentaire animalier…
Par la suite nous nous enfonçons davantage dans le pays, engrangeant les kilomètres. Khalifa, ainsi que Thomas, le guide du couple de français qui nous accompagne, en profitent pour nous apprendre quelques mots de swahili. En peu de temps nous abusons du terme ‘‘Asante sana’’ (‘‘merci beaucoup’’) et adoptons une attitude ‘‘Polé polé’’, cool et relax! Nous sommes un peu moins détendu lorsqu’une mouche tsé tsé pénètre dans la voiture et nous mitraille de piqûres. La traversée de la réserve du Ngorongoro nous donne l’occasion d’admirer de superbes vallées parsemées de villages du peuple Massaï, facilement remarquables par la concentration de petites huttes rudimentaires entourées d’une palissade de bois. Ces hommes et femmes élancés vêtus de leur couverture à carreaux noir et rouge mesurent deux à trois têtes de plus que nous, et surveillent leurs troupeaux un long bâton à la main.
Un voyage dans le voyage
Safari signifie voyage en swahili. En pénétrant dans le parc national du Serengeti, un nouveau voyage débute. La savane se dresse à perte de vue devant nous, telle une photographie des paysages du film Disney Le Roi Lion. En cette saison sèche, les vastes plaines sont tapissées d’herbes dorées et parsemées d’acacias, ces arbres à la couverture végétale aplatie. En toile de fond, quelques montagnes et massifs rocailleux amplifient l’aridité des lieux. À de rares endroits, des bandes vertes de gazon viennent colorer le décor. Un indicateur fiable de la présence d’une rivière où coule encore un mince filet d’eau. Quelques imposants arbres à saucisses ont réussi à pousser sur ces terres. Aucune charcuterie ne peut y être cueillie, plutôt de gros fruits bruns non comestibles suspendus en l’air qui peuvent vous assommer en tombant. Parmi cette flore, la faune rôde. Nous humains, ne sommes plus chez nous, les animaux oui. Quelle sensation spéciale que de se retrouver dans la peau de l’étranger. Pendant deux jours nous parcourons la brousse qui nous offre un défilé d’images invraisemblables.
Les gazelles et antilopes dominent clairement d’un point de vue démographique. Vives et agiles elles font tourner en bourrique le roi de la savane. Ce surnom donné au lion est par ailleurs un peu prétentieux. En effet, cet impressionnant fauve musclé à la crinière fournie est un macho polygame. Il laisse chasser ses lionnes pour qu’elles lui ramènent un beau morceau de viande biologique. Une fois la panse remplie, le mâle dominant peut s’allonger sous un arbre et dormir jusqu’à quatorze heures par jour. Entre ses siestes, ce dernier passe son temps à s’accoupler jusqu’à cinquante fois en vingt-quatre heures. Quelle vie mes amis! Parmi les fauves, les guépards sont les plus frimeurs. Véritables athlètes avec leur silhouette élancée et leur poil tacheté, ils sont beaux et ils le savent. Un groupe de quatre nous offre un superbe défilé à quelques mètres de nous, en prenant bien le temps de se laisser photographier! Ces gros chats sont relativement inoffensifs pour l’homme, ce qui n’est pas le cas du léopard. Plus imposant, évitez de le taquiner sinon vous pourriez disparaitre en une bouchée. Les quelques massifs rocailleux leurs appartiennent, du haut desquels ces belles bêtes aux allures princières se prélassent en laissant leur progéniture se balancer dans les arbustes. Espèce différente mais tout aussi dangereuse, l’hippopotame raffole des plans d’eau ou des marécages boueux. Cette force de la nature prend un plaisir à s’entasser avec plusieurs dizaines de ses collègues pour prendre un bain prolongé, en lâchant des vagues successives de flatulences. Un concert atypique pour les oreilles, moins intéressant pour le nez ! L’éléphant est un animal impressionnant qui semble respirer la gentillesse. Attention toutefois, il a un caractère particulier en communauté. Comme d’autres espèces, un seul mâle dominant dirige la horde, les autres sont chassés et vivent dans des groupes de célibataires…jusqu’à ce que l’un deux fasse tomber le grand maitre. Et quand ils s’énervent, mieux vaut ne pas leur trainer dans les pattes comme nous le prouve cette bataille entre deux frères qui se donnent des coups de défenses. Un mot sur les marabouts, ces vautours grand format au long bec, qui posés sur la cime des arbres attendent que le châtiment funeste s’abatte sur leur prochain repas. Espérons que ce ne soit pas l’une de ces adorables antilopes naines surnommées dik-diks qui ne semblent pas être nées au bon endroit pour survivre.
La vie dans la savane n’est pas paisible et idyllique. La chasse est omniprésente et bon nombre d’animaux sont sans cesse sur leur garde. Nous apercevons de temps à autre des crânes au bord des pistes, et nous sommes à deux doigts de voir un phacochère finir dans cet état. La lionne s’était pourtant bien faufilée à quelques mètres de Pumba (encore une référence au Roi Lion) mais celui-ci se fait alerter par un troupeau de gazelles qui fixent le fauve. Au même titre, les girafes sauvent la vie de plusieurs animaux. Ces tours de contrôle de la savane sont capables, grâce à leur long cou et à leur capacité à distinguer les couleurs, de repérer un chasseur d’assez loin ce qui alerte les autres mammifères et leur évite de finir en festin. Quand un buffet ensanglanté a lieu, les bêtes ne se ruent pas toutes en même temps sur la nourriture. On respecte une certaine hiérarchie: le fauve, puis ses femelles et les petits, s’en suit la hyène, le chacal et enfin les vautours pour les morceaux restants…Pour notre part, s’alimenter s’avère bien plus simple. Julius, le cuisinier qui nous accompagne, nous prépare de bons petits plats. Ses délicieuses crêpes matinales sont un régal, au contraire du café instantané local. Pays pourtant producteur, presque tout est malheureusement destiné à l’exportation.
Dans le Serengeti, nous passons nos nuits étoilées en pleine brousse dans un campement non protégé des animaux, laissant aux habitants poilus du secteur la possibilité de se faufiler entre les tentes. Excitant mais pas très rassurant! Imaginez-vous vous brosser les dents face à des buffles qui vous fixent de leurs yeux brillants dans le noir. Ou encore écouter les hurlements rapprochés des hyènes qui semblent rire à gorge déployée. Évitons de compter les moutons avant de dormir, cela pourrait donner faim à ces charognards.
Rêve prolongé, réveil brutal
Alors que nous croyons avoir tout vu, le cratère du Ngorongoro nous prouve le contraire. En descendant dans cet étrange creux circulaire, nous apercevons un mélange impressionnant d’animaux. Contrairement aux autres parcs où ils peuvent s’éparpiller, la superficie limitée des lieux les contraints à vivre ensemble. Les fauves se promènent donc à proximité des gnous ou des gazelles, sans que cela suscite chez eux le moindre intérêt (du moins durant notre visite). Ce confinement s’applique aussi aux touristes, et à l’entrée du site un amas de Jeep se retrouve autour d’un lion qui se relaxe. Ce troupeau d’humains ne semble pas stresser la bête qui vient même s’accoter sur une des roues d’un véhicule pour se mettre à l’ombre. Seul endroit au pays où des rhinocéros peuvent être aperçus, on en dénombre une vingtaine qui ont survécu au braconnage. Ces derniers ne pointent pas le bout de leur nez lors de notre passage en raison du vent présent qui les horripile. Par contre, nous ne pouvons pas rater les centaines de zèbres, ces petits chevaux qui semblent avoir été peinturés de bandes monochromes par un artiste contemporain. Fait notable, ils se retrouvent régulièrement à deux le cou entrelacé, ce qu’Annie définit comme un câlin. Hélas, Khalifa lui brise son rêve en lui expliquant qu’il s’agit plutôt d’une technique de surveillance contre l’arrivée d’un éventuel ennemi. Également fortement représentés, les gnous sont difficiles à cerner tant leur regard est inexpressif. Nous quittons cet endroit magique pour faire une dernière étape au lac Manyara. Avant d’atteindre la vaste étendue d’eau, nous traversons une forêt tropicale qui s’avère être le royaume des babouins et des singes bleus. Heureusement les résidents sont bien plus détendus que ceux de la Planète des singes. Un peu plus loin, les marécages peuplés de hauts roseaux sont le paradis des oiseaux où cigognes, pélicans, flamands roses et jabirus d’Afrique s’en donnent à coeur joie. Seuls les buffles d’eau ont réussi à s’intégrer dans ce monde volant.
Après plusieurs jours passés à rêver, nous nous réveillons à Arusha. Le retour parmi les humains est avouons le un peu délicat. Tout n’est qu’agitation, nous avons du mal à suivre le rythme de nos homologues. Nous aimerions retourner dans le monde sauvage animal rejoindre ces habitants de la savane. Mais nous le savons, ce monde leur appartient et nous devons leur laisser. Ceci étant, ils nous accompagneront dans nos pensées pour l’éternité.
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