Angoisse au portes du Sahara
- La plume nomade
- 1 juil. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 juil. 2020
Premier voyage hors de l'Europe
L’histoire se déroule aux portes du plus grand désert du monde, le Sahara. En 2001, mes aventuriers de parents décidèrent de nous emmener moi, adolescent de 15 ans, et ma soeur cadette, au Maroc. Grande étape, ce voyage étant mon premier au-delà des frontières européennes. Pas de formule tout inclus ou de voyage organisé, notre famille fonctionne plutôt en autonomie. Dans une aventure qui nous mena au coeur du Maghreb, un passage dans le désert fut particulièrement mouvementé. Sagesse, sang froid et contrôle ne furent pas de la partie.
Manque d’orientation, arnaque et long métrage
Petite mise en situation. Le village de Merzouga se dresse au pied des majestueuses dunes du Sahara marocain. Pour le rallier depuis Ouarzazate, il faut affronter sur plusieurs centaines de kilomètres un hostile désert plat rocailleux. Pas de végétation, peu de points de repères, et la route laissant place à des pistes poussiéreuses dans la partie finale. Pour maximiser les chances de s’y rendre sans accrocs, il est recommandé d’engager les services d’un guide, de monter à bord de sa Jeep, et de prévoir de l’essence en bonne quantité pour éviter la panne. Ce que nous n’avons évidemment pas fait. Pas de guide, une carte routière à l’utilité limitée dans un désert de pistes. Pas de 4x4, une voiture compacte de location, une Peugeot 106 aussi spacieuse qu’un pot de yaourt. Pas de bidon de carburant supplémentaire, on ne se pose même pas la question. Bref des choix pouvant être remis en question à l’approche d’une traversée autonome potentiellement périlleuse.
Nous roulons maintenant depuis quelques temps, et tout se passe bien. Les étendues désertiques à perte de vue sont vraiment impressionnantes mais également angoissantes. Mis à part une antenne téléphonique, nous ne croisons rien ni personne. Aucune vie ne semble présente dans ce paysage lunaire. Je me sens petit. Je me sens minuscule. Théoriquement, nous ne devrions plus être très loin de Merzouga. Sauf que la piste devient de plus en plus accidentée et les dunes semblent s’éloigner. Les premiers doutes apparaissent sur le visage du père de famille. Et ça ce n’est jamais bon signe. Précisément à ce moment, deux berbères en djellaba apparaissent de nulle part à bord d’une moto. Coup de chance, il ne s’agit pas d’un mirage! L’un d’eux nous accoste et propose de nous guider jusqu'à notre hôtel. Soulagés par ce cadeau tombé du ciel, nous acceptons la présence d’un nouveau copilote à bord. Aveuglés par la fatigue, nous nous laissons diriger sans porter attention à l’itinéraire étrange qui nous suivons. Au bout d’un certain temps, mon père commence à sentir l’arnaque et s’impatiente, le surnom de gazelle donné à mère par le marocain n’atténuant en rien les choses. Ses soupçons se confirment lorsque nous arrivons finalement dans un village…qui n’a rien à voir avec Merzouga. J’entends encore les paroles de cet homme adressées à mon père. «Sahid, c'est la même chose que ton hôtel ici. Tu dors chez moi et ça ne te coûtera que quelques dirhams. Pas cher!». Grave erreur de sa part. Le visage de mon paternel vire au rouge, la colère envahit son regard. Une vague de reproches se déverse alors sur le malheureux qui pensait nous berner, ce qui met fin à sa courte carrière de copilote.
Après cet intermède quelque peu tendu, nous en sommes toujours au même point. Perdus. Roulant à tâtons, l’espoir renaît à la vue de ce panneau indiquant la direction de «M II». «M » sûrement pour Merzouga, et «II» probablement pour deux kilomètres. Hourra! La bonne humeur à peine retrouvée dans l’habitacle de la Peugeot, nous apercevons au loin des camions avec de longues remorques à l’arrêt devant les dunes. Arrivés suffisamment proche, un homme vient à notre rencontre et nous explique que nous ne pouvons pas aller plus loin car un film est en cours de tournage. Il s’agit du long métrage hollywoodien «La momie 2», d’où l’indication «M II»…Retour à la case départ, une nouvelle fois. Heureusement, sur les conseils du gardien, nous rattrapons le bon chemin et une trentaine de minutes plus tard, nous atteignons enfin l’inaccessible village de Merzuga.
Sueurs froides sous le soleil
L’endroit est magique et vaut toutes les péripéties vécues. Isolés dans un monde ensablé aux couleurs orangées du Sahara, nous nous imprégnions du calme et de la sérénité des lieux durant quelques jours. Hélas toutes les bonnes choses ont une fin, nous devons rentrer, ce qui veut dire traverser à nouveau cet effrayant désert de rocailles. Et voilà la boule au ventre qui revient. Cherchant à positiver, nous reprenons notre petit bolide et avançons prudemment au milieu de ces terres arides. Notre seul point de repère à l’aller fut une grande antenne de communication. Nos quatre paires d’yeux la cherchent sans relâche, mais les minutes s'écoulent et l’horizon demeure vide. Un vent d’inquiétude envahit doucement l’habitacle, ce qui n’abaisse pas pour autant la température élevée persistant à l’intérieur. Assis sur la banquette arrière, je guette les réactions de mes parents qui ne semblent pas sereins. La jauge de panique augmente aussi vite que celle de l’essence qui baisse. Il faut se rendre à l’évidence, nous sommes encore perdus. Mon père coupe le moteur et nous descendons tous de la voiture. Imaginez-vous la scène, une famille de touristes isolée dans le désert, sans formation de survie en milieu hostile et totalement vulnérable sous un soleil ardent. Il n’y a pas même pas de roches suffisamment grosses pour dessiner un «HELP» au sol visible depuis les airs par un hélicoptère. De toutes façons, il n’y a pas plus d’hélicoptères. Ma mère craque, les larmes commencent à couler et j’en perds mon sang froid. Nous sommes condamnés à attendre un miracle.
Celui-ci survint. La durée de l'attente reste floue dans mes souvenirs, mais je me rappelle très bien de l'apparition lointaine de cette Jeep, visible par l’imposante trainée de poussière dégagée. Huit bras en l’air qui s’agitent dans tous les sens, heureusement le conducteur ne croit pas au mirage et s’arrête! Notre sauveur, un guide marocain accompagné de son chauffeur, nous escorte pour sortir de cet enfer. À partir de là, la chance ne nous quitte plus, le peu d’essence restant est suffisant pour rejoindre un village. Nous acceptons de prendre le thé chez un ami du guide pour reprendre nos esprits et se recharger en carburant. Ce dernier, certes fort sympathique, s’avère être un marchand de tapis qui fait son possible pour nous vendre un de ses carrés poilus. Nous refusons poliment une cinquantaine de fois et remercions autant de fois le guide avant de reprendre la route…en asphalte, fini les pistes!
De nos jours, ces mésaventures n'auraient probablement pas lieu. La technologie a évolué et un GPS de smartphone peut nous diriger de façon optimale vers notre destination. Sans détours, sans surprises, sans émotions. Parfois, ce n'est pas que la destination qui compte mais aussi le chemin, qui peut être un voyage en soi. Bien que cet épisode dans le désert m'eu donné de belles frousses, j'en garde des souvenirs indélébiles. Si c'était à refaire, la carte routière en papier et la Peugeot 106 m'accompagneraient encore.
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